Pendant près de onze semaines, Jean-Pierre Treiber a nargué tous les policiers et gendarmes lancés à ses trousses. Il s’est aussi payé le luxe d’adresser des lettres à plusieurs journalistes, clamant systématiquement son innocence. Retour sur une cavale hors du commun.

Mardi 8 septembre 2009. Alors qu’il travaille dans l’atelier de la prison d’Auxerre (Yonne), Treiber indique à son surveillant qu’il doit être extrait de l’établissement à la demande d’un juge. Vers 10 h 30, il se glisse dans un carton destiné à être livré, par camion, à une quinzaine de kilomètres de la maison d’arrêt. Le « paquet » a été scellé à l’aide d’un film plastique, ce qui suppose une complicité interne. Ni vu ni connu, le détenu se fait la belle et quitte sa planque chemin faisant. Le conducteur n’a rien remarqué : seuls la bâche trouée et son chargement chamboulé témoignent d’un événement imprévu. A la prison, personne ne s’inquiète de l’absence du prisonnier qui est « chez le juge ». Ce n’est qu’à 18 heures que l’alerte est donnée. Treiber bénéficie d’une bonne longueur d’avance…

Mercredi 9 septembre. Un important dispositif se déploie dans la forêt d’Othe, une vaste zone boisée de l’Yonne dont l’évadé, ancien garde forestier, maîtrise le moindre mètre carré. « C’est la principale idée pour le retrouver, déclare le procureur François Perain, mais on n’écarte pas l’hypothèse qu’il ait déjà quitté le département. » Le plan Milan (dispositif prévu en cas d’évasion) sera élargi au fil des jours.

Jeudi 17 septembre. Jean-Pierre Treiber écrit à l’hebdomadaire Marianne, glissant dans son enveloppe l’original de sa carte de détenu, n° 13.855. Il clame son innocence, exige une instruction équitable et promet de se rendre à son procès, prévu pour s’ouvrir le 19 avril 2010. « J’avais confiance en la justice, mais je me suis trompé, indique-t-il notamment. On s’est acharné sur moi, sur mon entourage. »

Mercredi 30 septembre. Son frère et son beau-frère sont interpellés à leurs domiciles de Soppes-le-Bas (Haut-Rhin) et de Bourg-sous-Châtelet (Territoire de Belfort) et placés en garde à vue. D’autres perquisitions sont entreprises en Seine-et-Marne, notamment chez Blandine, sa visiteuse de prison, dont il est amoureux, et ses parents où est découverte une lettre postée après son évasion.

Vendredi 9 octobre. Jean-Pierre Treiber échappe à une embuscade tendue par les policiers du Raid dans les bois de Bombon, près de Bréau, en Seine-et-Marne, où il a vécu avec son ex-épouse Marie-Pascale. Il y avait fixé rendez-vous par courrier à son amie Blandine Strassart. Elle devait le retrouver au pied d’un arbre où serait gravé un cœur. Parvenu sur les lieux vers 22 heures, le fugitif aurait remarqué le Raid posté à cinq mètres, et détalé comme un lapin dans les massifs broussailleux. Les lettres à sa compagne quinquagénaire auraient transité par le centre d’affranchissement de Nangis (sud-est de la Seine-et-Marne).

Jeudi 8 octobre. Paris-Match publie un entretien avec Blandine Strassart et diffuse les lettres qu’elle a reçues de Treiber.

Samedi 10 octobre. Le Figaro Magazine publie des photos de l’évadé, prises les 15 et 16 septembre. On le voit marcher tranquillement, à la nuit tombante, dans les rues de Bréau, lunettes de vue sur le nez, s’aidant d’une canne et portant un sac.

Mercredi 21 octobre. Treiber envoie une lettre d’excuses à son ex-codétenu de la prison d’Auxerre. « Cette lettre était destinée à un détenu qui travaillait aux ateliers et qui a été déclassé après l’évasion. Jean-Pierre s’excuse pour le déclassement des six prisonniers et évoque aussi le cas de Flavien Cosson. Il l’innocente », révèle L’Yonne républicaine. Flavien Cosson, 25 ans, condamné à vingt ans de réclusion criminelle pour l’assassinat de sa petite amie, a été mis en examen le 11 septembre pour « complicité d’évasion » dans l’affaire Treiber.

Jeudi 19 novembre. Paris-Match publie deux courriers de Treiber, qu’il a postés les 14 et 23 octobre, toujours à Nangis, en Seine-et-Marne, et encore adressés à Blandine. « Ils n’imaginent pas ce que je dois faire pour vivre, écrit-il. Koh-Lanta, c’est du pipi de chat à côté de ce que je fais ! (…) Les rasoirs ne rasent plus. Je n’ai quasiment plus de dentifrice. Je ne sais pas à quoi je vais ressembler quand tout sera fini. Au moins, les sangliers et les cerfs ne se plaignent pas de mon odeur. (…) Si je ne réussis pas à prouver mon innocence, au moins j’aurais essayé. (…) Je flippe toujours quand je vais mettre des lettres dans une boîte. Je sais que les policiers ne peuvent être partout à la fois. Mais eux aussi sont malins et ont des moyens que je n’ai pas. »

Francis Szpiner, avocat de la famille Giraud

« Roland Giraud est soulagé, nous a déclaré hier son avocat, Me Francis Szpiner. J’avais dit qu’il serait rapidement repris. Je pensais que Jean-Pierre Treiber n’avait pas les moyens de partir à l’étranger. Je me réjouis que cette arrestation intervienne plus tôt que plus tard. Le procès aura lieu. » Il se déroulera devant la cour d’assises de l’Yonne, à Auxerre, du 19 avril au 14 mai 2010.
L’avocat de Roland Giraud a manifesté « un petit agacement » face au traitement médiatique de cette cavale, Jean-Pierre Treiber étant présenté, selon lui, comme un nouveau Robin des bois alors qu’il est accusé d’un double meurtre. Cette arrestation est « un soulagement. Nous allons nous préparer à ce procès qui sera de toute façon une épreuve ». Les dates d’audience de ce procès n’ont pas été modifiées en dépit de l’évasion de l’accusé, la justice ayant tablé sur son arrestation rapide.

Chronologie de l’affaire Géraldine Giraud et Katia Lherbier

1er novembre 2004. Géraldine Giraud, 36 ans, fille du comédien Roland Giraud, qui séjournait dans la résidence familiale de La Postolle (Yonne) en compagnie de son amie Katia Lherbier, 32 ans, ne donne plus signe de vie.
4 novembre. Le parquet de Sens ouvre une information judiciaire pour enlèvements et séquestrations.
23 novembre. Jean-Pierre Treiber, 41 ans, est arrêté en possession des cartes bancaires des disparues.
Le 25, il est mis en examen pour enlèvements, séquestrations, vols, escroqueries. Il est écroué.
9 décembre. Découverte du corps des deux femmes au fond d’un puisard dans le jardin de Treiber, à Villeneuve-sur-Yonne. La mort semble due à un étouffement ou à un empoisonnement. Treiber dit être innocent.
20 décembre. Jean-Pierre Treiber est mis en examen pour assassinats.
6 janvier 2005. Géraldine et Katia seraient mortes en inhalant un gaz toxique, peut-être de la chloropicrine.1er mars. La tante de Géraldine Giraud, Marie-Christine Van Kempen, qui a connu Katia Lherbier, est placée en garde à vue pendant trente et une heures après la découverte de traces de chloroforme dans sa cave.
25 novembre. Marie-Christine Van Kempen est mise en examen et écrouée pour complicité d’assassinats. Elle sera libérée le 27 février 2006.13 octobre 2007. Le juge prononce un non-lieu pour Marie-Christine Van Kempen et renvoie Treiber aux assises.

Un article de Pierre-Antoine Souchard et Isabelle Horlans, publié sur France Soir le 21/11/09

0 commentaires: