Les tueurs en série se retrouvent de plus en plus sous les projecteurs. Mais qui sont-ils ? Dr Daniel Zagury, psychiatre expert près la cour d’appel de Paris, a eu l’occasion de rencontrer les plus célèbres criminels récidivistes français : Patrice Allègre, Guy Georges, Michel Fourniret… De passage à la Réunion pour dispenser des formations, il nous fait partager son expérience, loin des stéréotypes.

Vous avez récemment publié un ouvrage (L’énigme des tueurs en série, Plon,2008 sur les tueurs en série. Pourquoi s’intéresser à eux ? Est-ce de la fascination ?

Pas du tout. C’est le hasard le plus total qui m’a conduit à eux. Il y a quelques années, j’ai eu affaire à un cas qui m’a terrifié par rapport à ce que j’avais l’habitude de traiter. Il s’agissait d’un homme qui avait tué une femme lors d’un cambriolage et un vieux monsieur en lui coupant la tête. En détention, il a également tué un surveillant de prison. Ça m’a tellement bouleversé et soulevé de questions en moi que je me suis intéressé à ce sujet. Par la suite, j’ai rencontré une personne qui avait tué six femmes âgées pour les voler. Avec cette expérience, les juges m’ont confié des rapports d’expertise de Guy Georges, Patrice Alègre, Jacques Plumain, Pierre Chanal, Michel Fourniret…

Le passé meurtrier de ces hommes ayant été très médiatisé, pouvez-vous réaliser leur expertise psychiatrique sans idée préconçue ?

C’est exactement le contraire. Forcément, on s’en forge une image avant de les rencontrer, mais l’expérience montre que de manière systématique, on n’éprouve pas ce que l’on imaginait. Car, quoi qu’il est fait, on se retrouve face à un humain et on est pris dans un enjeu relationnel. Si je garde une trop grande distance avec eux, bardée de jugements de valeur, je ne peux pas faire une expertise. Il s’agit donc de rentrer en relation avec quelqu’un et d’exprimer toute une gamme de sentiments, allant du dégoût à la sympathie, en passant par l’horreur. Quand je parle de football avec Guy Georges, cela peut choquer mais cela fait partie de mon travail.

Quelles sont les différences que vous avez pu observer chez les tueurs en série ?

Tout d’abord, ils sont tous différents : intelligents, idiots, tueur de femmes, tueur d’hommes, tueur d’enfants… Au niveau de la personnalité, il y a également des différences. Il y a ceux qui sont essentiellement psychopathes, ceux qui sont essentiellement pervers et ceux qui sont essentiellement des malades mentaux. Il y a des différences extrêmement grandes entre les uns et les autres. Mais la catégorie des tueurs en série existe vraiment car il y a des points communs. Tuer une seule personne est possible de la part de tout le monde dans un contexte particulier de passion, d’émotion, de cupidité ou de révolte… Mais tuer plusieurs personnes correspond à une zone de personnalité beaucoup plus étroite. Il y a toujours chez les sujets un tripôle à pondération variable. C’est-à-dire qu’il y a toujours des éléments psychopatiques tels quel’impulsivité, l’instabilité, l’appétence pour l’alcool, la conscience morale faible, l’absence d’empathie…

Quels sont ces points communs ?

Premièrement, il y a un pôle pervers. La perversité peut être sexuelle ou bien narcissique. C’est-à-dire qu’il utilise l’autre comme un objet qui lui permet de se dégager de ses propres conflits. Ensuite, il y a une angoisse de néantisation. Autrement dit, derrière le crime, il y a un gouffre dans lequel le sujet a peur d’être précipité. Il y a toujours quelque chose d’important chez les tueurs en série, c’est aussi le clivage. Ce sont des gens d’apparence normale mais on a l’impression très forte qu’ils sont en cheminement. Comme si les premiers actes étaient les brouillons des crimes à venir.

Est-il alors possible de les arrêter dans leur folie meurtrière ?

On a affaire à des cas hors normes. Je dirais que cela dépend selon que le sujet a été appréhendé après un premier crime ou non. En tout cas, la culpabilité, ils n’en ont pas car sinon ils ne recommenceraient pas. Par contre, la honte oui. Ils ont honte que leurs préoccupations secrètes soient transparentes. Pierre Chanal a préféré ainsi se suicider. La question de la réinsertion ne peut être posée que pour un petit nombre d’entre eux. C’est du cas par cas.

Dans les films, téléfilms ou encore dans la littérature, la question des tueurs en série est de plus en plus abordée. Pourquoi suscitent-ils un tel engouement auprès du grand public ?

Il faut savoir que le policier du FBI qui a nommé ce phénomène de « tueur en série » s’est lui-même inspiré d’un film. C’est déjà curieux. Il y a une fascination car le tueur en série est l’incarnation du mal absolu. Il permet d’opposer le bien et le mal, le héros moderne au diable contemporain. Nous avons de bonnes et mauvaises raisons à éprouver cette fascination. La mauvaise étant de faire écho à la petite perversion de chacun d’entre nous. Ce qui est normal est de s’interroger sur le mal. J’ai écrit ce bouquin justement parce que j’en avais marre de la vision d’Hollywood. Si on les présente comme des monstres, des robots tueurs, on entre alors dans le fantasme criminel. En les diabolisant, on en fait des héros négatifs. Il faut les restituer à leur place. Les tueurs en série ne sont pas des monstres, mais des pauvres types."

Une interview de Marie Payrard, publié sur Clicanoo.com et Criminonet.com, le 12/11/09

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