Depuis deux jours, ils défilent à la barre, et mp;nb-spc'est à leur voix que se devine le mieux leur inconfort. De dos, leur calvitie ou leur blondeur sont offertes à l'audience. Leur costume et leur tailleur apprêtés sont choisis pour l'occasion, comme pour mieux affirmer une contenance. Mais à leur élocution souvent nouée, parfois étranglée, on perçoit surtout l'anxiété de leur témoignage, comme appris par coeur.

Ils sont fonctionnaires de l'administration pénitentiaire, juge d'application des peines, médecins. Et au troisième jour du procès de Francis Evrard, accusé d'avoir séquestré, drogué, puis violé le jeune Enis, 5 ans, le 15 août 2007, dans un garage de Roubaix, ce qui n'était que des soupçons, annotés en marge de cotes de dossier éparpillées, est devenu le récit accablant de la remise en liberté presque sans filet d'un pédophile multirécidiviste, après plus de vingt ans de détention.

Mardi 27 et mercredi 28 octobre, devant la cour d'assises du Nord, à Douai, ce fut donc presque un deuxième procès : celui des carences du suivi des délinquants sexuels. Francis Evrard, décrit par tous les experts comme pervers et manipulateur, en a-t-il été victime ou a-t-il sciemment exploité ses failles, aggravées par des erreurs manifestes ? Le 2 juillet 2007, six semaines avant son passage à l'acte, il sortait de prison, livré à lui-même, une ordonnance de Viagra et 4 000 euros en poche, en pleines vacances estivales.

La conseillère "d'insertion et de probation" - dite SPIP -, qui le suivait en prison, a été parmi les premières à passer à la barre. Une fine jeune femme rousse de 36 ans qui a avoué qu'elle ne savait "pas vraiment" où allait loger l'accusé à sa sortie. Elle a cherché en vain une structure pour l'accueillir. Mais les profils comme ceux d'Evrard sont souvent "rejetés", a-t-elle expliqué. Alors, elle lui a donné une note, avec des adresses d'hôtels, le numéro du 115 en cas de problème.

"Ce n'est pas un reproche (...) mais est-ce que ce n'est pas particulièrement fragile pour un détenu ?, l'a interrogé l'avocat de M. Evrard, Me Jérôme Pianezza.

- Si, mais c'est malheureusement le cas pour de nombreux détenus", lui a-t-elle répondu, ébranlée. Quelques minutes plus tôt, elle avait timidement défendu face à l'avocat d'Enis et de son père, Me Emmanuel Riglaire, le manque "de structures intermédiaires entre la prison et l'extérieur".

Autre témoin, autre dysfonctionnement, avec la conseillère SPIP de la ville de Rouen. Là où, finalement, M. Evrard s'est domicilié après avoir quitté Caen, en réservant une chambre d'hôtel. Une femme consciencieuse. Problème, le dossier de M. Evrard ne lui est jamais parvenu. Le 10 juillet, elle a donc reçu l'accusé en rendez-vous sans rien savoir, ni de ses vingt ans de détention ni de sa dangerosité. "Du coup, on n'a pas parlé de ses obligations", a-t-elle admis. Soit, notamment, ne pas s'approcher de mineurs, suivre un traitement antihormonal...

Troubles de l'érection

Quelques minutes plus tôt, à la barre, c'est sa directrice qui a été bombardée de questions. Une femme brune de 52 ans qui a tenté pendant une heure et demie de ne rien céder, avant d'avouer : "C'était la première fois que mon service avait à gérer une mesure de "surveillance judiciaire"." Le dispositif, récent, est plus contraignant que d'autres. Tellement récent qu'il n'était pas spécifié dans le serveur informatique. Et le président de la cour, Michel Gasteau, de lui demander alors : "Vous auriez aimé qu'on vous prévienne que c'était un dossier particulier ?

- Oui."

Dysfonctionnement encore avec la juge d'application des peines (JAP), Mme Valérie de Saint-Félix, 41 ans, élégante blonde, veste noire. Si le dossier de M. Evrard n'est jamais parvenu au SPIP de Rouen et a empêché, faute de saisine par ailleurs, toute mise en oeuvre du traitement antihormonal de M. Evrard, c'est parce qu'il est arrivé par courrier dans son service le jour où elle partait en vacances pour un mois. Elle ne l'aurait découvert qu'à son retour, mi-août... quand Francis Evrard était déjà repassé à l'acte. "Je ne peux pas vous dire pourquoi ce dossier n'a pas été transmis, a-t-elle expliqué, mais il n'a pas suivi un parcours normal et conforme à la pratique."

Reste le docteur Philippe Guivarch, l'avant-dernier à avoir été entendu, mercredi soir. C'est lui qui a prescrit du Viagra à Francis Evrard lors de sa consultation dite de "sortie de prison", dix jours avant sa libération. Comme à l'accoutumée, il avait une quinzaine de patients à voir en deux heures et demie. "Soit environ dix minutes pour chacun." M. Evrard lui a indiqué qu'il avait des troubles de l'érection et qu'il souhaitait refaire sa vie. Le médecin n'a pas posé de questions plus avant.

Un article de Elise Voncent publié sur le Monde.fr

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